Une des caractéristiques de l’Ariège est la présence dans le piémont pyrénéen d’une petite noblesse protestante pratiquant l’art de la verrerie. La fabrication du verre soufflé était en effet considérée au moyen-âge comme une activité artistique, mettant à l’œuvre le souffle plutôt que la main, et à ce titre pouvant être pratiquée sans déroger par des nobles sans autres ressources que leur compétence en ce domaine. Parmi les familles languedociennes bénéficiant de privilèges royaux pour exercer cet art depuis le XIIIe siècle, les Grenier, Robert et Verbizier étaient fixés dans la région du Mas d’Azil, notamment à Gabre, mais aussi à Sainte-Croix, Fabas et Pointis, installant des fours artisanaux à même les bois, où ils trouvaient le combustible en même temps que la silice nécessaires à leur production. Non sans ironie, l’historienne Alice Wemyss les décrit ainsi : « Pauvres comme Job et fiers comme Artaban, ils se tenaient à l’écart à la fois de la noblesse terrienne et des artisans … Leurs campagnes de travail ne duraient que six mois, et le reste du temps, ils se battaient, chassaient et couraient le jupon… Leurs aventures sont dignes des romans d’Alexandre Dumas ; comme le dit M. Léonard, c’étaient les cadets de Gascogne de la Réforme. »
De fait la plupart de ces familles adoptèrent au milieu du XVIe siècle le message de la Réforme, et jouèrent un rôle significatif lors des guerres de religion, puis dans la clandestinité pendant la période du Désert. Certains d’entre eux combattirent dans les troupes protestantes du comté de Foix aux côtés de Jean-Claude de Lévis d’Audou et Henri de Navarre, d’autres vinrent prêter main forte à leurs coreligionnaires du Mas d’Azil lors du siège de 1625. Après la révocation de l’édit de Nantes, habitués à une existence semi-nomade dans les bois, ils animèrent une résistance spirituelle manifestée par des assemblées illicites en plein air, et plusieurs furent condamnés aux galères pour les hommes et à la prison pour les femmes. Les trois frères de Grenier, exécutés en compagnie du pasteur Rochette en 1762 à Toulouse, furent même les derniers martyrs pour cause de religion en France.
Après la Révolution, les gentilshommes verriers durent abandonner peu à peu leur activité artisanale, concurrencée par la verrerie industrielle, et leurs familles connurent au XIXe siècle la dispersion de l’exode rural. Plusieurs d’entre elles donnèrent leur adhésion au Réveil et à l’Eglise libre, et on compte dans leurs rangs de nombreux pasteurs. Au XXe siècle certains de leurs descendants se sont illustrés dans diverses professions, mais aussi dans la Résistance, en particulier les masdaziliens Jeanne Sivadon et Etienne Saintenac.
Pasteur Philippe de Robert
Voici quelques strophes de la « prière des verriers », qu’ils récitaient (ou chantaient sur la mélodie du Psaume 118) avant de commencer leur travail :
Ne pourrait-on pas mettre ce texte au dos du journal? Je ne sais pas bien…
Source de lumière et de vie, / Mon Dieu, mon Sauveur et mon Roi,
J’implore ta grâce infinie : / Dès le matin exauce-moi.
Je vais maintenant entreprendre / Le travail de ma vocation ;
Père éternel daigne répandre / Sur moi ta bénédiction.
Ne permets pas que l’indigence / Me jette dans le désespoir,
Ni qu’une trop grande abondance / Me fasse oublier mon devoir.
Garantis-moi de toute envie / Et fait que, content de mon sort,
Sur ta Loi je règle ma vie / Et je me prépare à la mort.