Le destin du territoire de Gabre est assez particulier : cédé au moyen-âge par le comte de Foix à l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, il fit l’objet à la fin du XIIIe siècle, d’un paréage le plaçant sous la suzeraineté du roi de France, ce qui en fit une enclave de la province de Languedoc au sein du comté de Foix. Le village prit alors le nom de La Bastide de Plaisance, qu’il gardera longtemps associé au vieux nom de Gabre. On y voit encore l’église Saint-Laurent, qui jouxtait la tour de la commanderie des Hospitaliers, devenus Chevaliers de Malte. Mais cette bastide ne se développera guère, restant le centre administratif d’une commune assez vaste où dominent les écarts. Ceux-ci voient s’installer peu à peu des verreries artisanales tirant parti des ressources en bois et en sable et bénéficiant de privilèges royaux.
Dès le milieu du XVIe siècle, la Réforme est adoptée, comme dans les communes proches du Mas d’Azil, Sabarat et Camarade, par la majorité de la population, où les gentilshommes verriers jouent dès lors un rôle important. Au cours des guerres de religion les chevaliers de Malte abandonnent le terrain, l’église est en partie détruite et adaptée au culte réformé, jusqu’à ce que l’édit de Nantes la restitue au culte catholique. C’est au début du XVIIe siècle qu’un premier temple est édifié au village, qui durera une quarantaine d’années : il est desservi par les pasteurs du Mas d’Azil et du Carla, dont le père et le frère du philosophe Pierre Bayle. Sa démolition est ordonnée en 1668 par Louis XIV, les fidèles étant condamnés à l’exécuter de leurs mains, ce qu’ils refusent, ou à en payer les frais. La révocation de l’édit de Nantes va contraindre les protestants locaux soit à l’abjuration soit à la clandestinité, et une assemblée dans les bois de la Bade en 1697, où prêche le menuisier Gardel, est réprimée par de nombreuses condamnations aux galères et à la prison. La période du Désert sera ponctuée par de telles assemblées illicites, autour de prédicants de passage, soit sur les hauteurs de Gabre soit dans le Couserans (Pointis) où les verriers sont aussi installés, qui seront suivies de condamnations semblables, mais aussi par des cultes plus discrets dans les maisons.
Après la Révolution, la question se pose de rebâtir un temple, mais certains le veulent au village comme l’ancien, d’autres sur les hauteurs de Las Termes, si bien que deux sanctuaires rivaux sont édifiés, bientôt qualifiés avec ironie de Jérusalem (temple des Juifs) et Garizim (temple des Samaritains sur la montagne). Cette rivalité géographique va se doubler d’un différend théologique : au milieu du XIXe siècle, une partie des protestants de Gabre, notamment chez les descendants des gentilshommes verriers, convaincus par le Réveil, adoptent les principes de l’Église libre, indépendante de l’Etat et fidèle aux doctrines de la Réforme, et font du petit temple de Las Termes (aujourd’hui disparu) leur lieu de culte. Ce schisme, qui reste dans les limites d’une divergence fraternelle, va se résorber lors de la première guerre mondiale, et tout le monde va se retrouver au temple du village. Celui-ci, construit en 1804 à proximité de l’église Saint-Laurent, sera restauré en 1927, puis en 1997, et accueille aujourd’hui les cultes d’été de l’Église Réformée comme de l’Église Réformée Évangélique. Entre temps, il a connu Napoléon Peyrat, des Bordes-sur-Arize, qui dans sa jeunesse aimait à venir à Gabre chez sa tante mariée sur place, avant de devenir le poète de l’Arize et l’historien des Albigeois que l’on sait. Et à son exemple, plusieurs protestants de Gabre, restés au pays ou dispersés, sont devenus pasteurs, historiens ou théologiens.
Pasteur Philippe de Robert